Réflexion sur les émotions en préparation mentale

On a longtemps pensé que les meilleurs sportifs n’avaient pas d’émotions. Peut-être qu’ils savaient tout simplement mieux les gérer ? D’ailleurs, vous savez comment les définir ? Les différencier des humeurs, des sentiments ?

Ce qui est sûr, c’est qu’elles ont été boudées, malmenées, dans le sport, mais aussi dans le monde de la communication. Petit à petit, elles sont revenues, devenant même un business mondial colossal !

On les retrouve donc partout, notamment dans les formations où on apprend désormais qu’il ne faut plus en avoir honte. Pourtant, c’est quand même bien quand on arrive à se débarrasser des émotions les plus négatives. Combien de mails ai-je reçus, avec cette même idée : « mon fils/ma fille est souvent envahi(e) par des émotions négatives à l’entraînement et en compétition, pouvez-vous faire quelque chose ? ». Vous voulez en savoir un peu plus ?

Qu’est-ce qu’une émotion ?

« Ce sont des contenus mentaux, conscients et inconscients, mêlant états du corps, émotions subtiles et pensées automatiques, et qui vont influencer la plupart de nos attitudes. Pas seulement un empilement d’idées, émotions ou sensations, mais aussi une construction originale : la fusion, la synthèse que nous effectuons automatiquement entre le dedans (état du corps et vision du monde) et le dehors ». Christophe André

« Une émotion est, face à un stimulus, une collection complète de réponses chimiques et neurales automatiques formant une structure distinctive. Un sentiment est la transcription de cette émotion sur le théâtre de l’esprit à l’aide d’un processus conduisant à la production d’images mentales. Même si la distinction nous semble difficile à faire, nous éprouvons une émotion de tristesse avant d’éprouver un sentiment de tristesse (…). Les émotions se manifestent sur le théâtre du corps, les sentiments sur celui de l’esprit ». Antonio Damasio

Comment fonctionne une émotion ?

Nos inducteurs émotionnels réagissent aux sollicitations perceptives dictées ou proposées par notre environnement ou notre corps. Il s’agit donc d’un message d’alerte qui déclenche des réactions visuelles, kinesthésiques, auditives, gustatives et olfactives. Bien évidemment, cela influence nos prises de décisions.

Ce qu’on avait pourtant oublié au fil des années, en écartant ainsi les émotions, c’est qu’elles auront toujours ce pouvoir de prendre le dessus sur la raison. Si vos émotions vous disent « j’ai peur », vous resterez souvent bloqués. C’est notamment le cas de l’avion, considéré comme l’un des moyens de transport les plus sécurisés… Certaines personnes n’y croient pas émotionnellement, et c’est peut-être votre cas.

Comme à mon habitude, je mets les deux pieds dans le plat quand j’en ai l’occasion, et je n’hésite surtout pas à dire aux sportifs qu’on ne peut pas gérer une émotion, tout simplement parce qu’on ne peut rien faire. On subit. Certains chercheurs affirment qu’une émotion ne dure pas plus de 1min30, et que les plus brèves se manifestent en quelques centièmes de secondes (comme la surprise, il est assez rare d’être dans cet état pendant une minute…).

Notre corps réagit comme bon lui semble, on laisse passer, et c’est là que nous pouvons entrer en jeu. Quand ? Probablement à partir du moment où on peut se poser cette question : « est-ce que je peux prendre le contrôle maintenant ? » C’est en général ce que je dis aux sportifs. Car finalement, ce n’est pas les émotions qui nous embêtent au quotidien, mais plutôt les états d’âme ou les humeurs.

Nous sommes rarement apeurés ou en colère toute une journée, mais plutôt inquiets ou irritables. Même principe pour la joie : les fous rires ne sont pas si fréquents, alors que la bonne humeur peut durer. La gestion des émotions est donc presque une absurdité, nous ne pouvons gérer que « l’après-émotion ». Et finalement, tant mieux !

Quoi de mieux que l’exemple de l’Amour ?

Si les humeurs et les états d’âme ne sont pas si simples que cela à définir, on peut aller un peu plus loin dans l’échelle de comparaison, et évoquer les sentiments. Les émotions sont des réactions physiologiques, alors que les sentiments sont des représentations mentales. Pour preuve, si une émotion amoureuse s’empare de vous elle ne sera pas forcément présente en permanence. Certes, on peut régulièrement retomber amoureux de l’être aimé, parfois en créant des occasions, on peut ressentir à nouveau ce grand moment physiologique, mais aimer est aussi un choix.

On choisit d’aimer, on se projette, on le construit mentalement. D’où le problème que peuvent avoir certaines personnes en couple depuis plusieurs années, et déstabilisées par ces émotions perturbantes faites au fil des rencontres hasardeuses de la vie. Ceux qui tombent amoureux en permanence écoutent beaucoup leurs émotions et auront certainement tout intérêt à se pencher sur une belle représentation mentale de l’amour, avec cette personne à laquelle on tient et avec qui on a envie de passer le reste de sa vie. Ne vous faites pas avoir par vos émotions et nourrissez votre couple ! Facile à écrire, n’est-ce pas ?

Dans le sport, les sentiments qui prolongent certaines émotions sont du genre « déception » suite à la tristesse, ou « angoisse » suite à la peur. En ce qui concerne les humeurs, celles sur lesquelles on peut normalement rapidement agir, elles peuvent durer plusieurs jours, voire semaines ; elles sont plus diffuses que les émotions.

Exprimer ses émotions

Alors, des outils pour gérer ses émotions, ou plutôt « l’après-émotion », on en trouve pour tous les âges, et en quantité impressionnante ! Tant mieux, il ne reste plus qu’à faire le choix dans tout cela. Je pense que la première chose à apprendre sur cette thématique, c’est l’acceptation. Si j’accepte de rougir, je l’accepte vraiment. Et d’ailleurs, en l’acceptant, il se peut que ça dure moins longtemps que d’habitude. Je fais le lien avec un point important : une émotion peut se relancer, s’entretenir, voire même s’amplifier. Parfois c’est nécessaire. D’autres fois, c’est plaisant.

Ensuite, je reste convaincu qu’une émotion doit s’exprimer. Les contenir, c’est s’exposer au risque d’explosion. Pour ça, tous les moyens sont bons, et il faut trouver celui qui vous correspond. Personnellement, l’écrit me permet d’évacuer quelques émotions positives (c’est donc un plaisir !), alors que j’ai tendance à distiller le négatif dans la musique (puisque personne ne comprend ce que je joue). N’en faisons pas une règle non plus, je sais aussi jouer du piano pour me détendre.

Certaines personnes sont vraiment très émotives, sensibles, elles apprennent rapidement à s’en servir, à jouer avec cette « bombe » à retardement. C’est notamment le cas des artistes, des compositeurs, acteurs. Tout est question de dosage, savoir quoi contenir, pendant combien de temps, et être certain d’évacuer suffisamment au bon moment ! Tout… un art.

Le préparateur mental libérateur d’émotions ?

Finalement, en préparation mentale, on avance assez rapidement sur cette thématique, surtout que les sportifs livrent leurs émotions parfois simplement par leur présence, ou avec quelques mots, regards. C’est le genre de moments privilégiés que nous vivons, parce que nous sommes à la fois investis pour eux, tout en étant à l’écart des fédérations, des entraîneurs. Une place pas toujours simple à trouver, mais idéale pour vivre de belles aventures humaines.

Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de parents qui me disent que leur enfant « ne parle pas ». Je peux vous assurer que c’est bien le contraire qui se passe avec moi ! D’ailleurs, puisque j’en suis là, je suis un homme très discret, peu bavard, en retrait dans la vie de tous les jours… et moi aussi je suis capable de beaucoup, mais beaucoup parler pendant un entretien. Est-ce là un moyen d’expression émotionnel ? Peut-être bien.

Le cas des disciplines saisonnières émotionnellement intenses

Monde merveilleux de la préparation mentale, les émotions ne se travaillent pas seulement en les acceptant, en les livrant, en les verbalisant, et avec quelques outils trouvés ici et là. Si certains sportifs ont l’impression de ne pas avancer sur ce sujet, c’est bien parce qu’ils se trouvent parfois confrontés à une autre problématique. Et celle-là, on ne l’apprend pas dans les livres. On la découvre quand on échange avec eux.

J’ai eu récemment le cas d’une skieuse qui détestait l’été. En même temps, cela peut se comprendre : conditions mauvaises pour s’entraîner, chaleur, aucune compétition, période de préparation un peu éloignée de « sa » réalité… si on ajoute à tout ça une propension à prendre du poids, à se laisser un peu aller, on est loin du parfait cocktail rafraîchissant estival. Ce qui est vraiment caractéristique de toutes ces activités saisonnières, c’est cette différence de climat, de rapport à la nature, à la compétition, et même à l’entraînement.

Certains sportifs arrivent à « couper », à donner du sens à ce qu’ils font, à prendre plaisir dans d’autres activités. Pour d’autres, c’est plus compliqué. Les émotions, dans ce cas, sont tellement intenses durant la saison, que l’été paraît bien vide. Si les skieurs alpins arrivent pour certains à s’entraîner sur quelques glaciers résistants, ou mieux, à partir en Amérique du Sud pour retrouver la neige, les « fondeurs » ne sont pas forcément aussi bien lotis : c’est l’heure pour eux de dévaler le goudron avec des skis-roues, monter, toujours monter, et même descendre, jusqu’à se faire de belles frayeurs parfois. Les routes sont bien moins agréables que la neige en cas de chute !

En préparation mentale, c’est donc un travail qui va demander un peu de temps, d’observation, d’écoute. La manière de gérer cette saisonnalité émotionnelle est très intéressante, car le sportif va devoir identifier, lister justement tout ce qui lui plaît « émotionnellement ». Gérer ces périodes, tout faire pour qu’elles se passent au mieux, cela s’anticipe. On peut ajouter à cela un peu de complexité. En effet, comme le cerveau est plutôt programmé pour retenir avant tout le négatif, certaines personnes ont du mal à se souvenir des émotions positives vécues même récemment. Dans cette thématique, on apprend forcément à mieux se connaître, à s’écouter, à révéler et préserver.

Les émotions négatives sont-elles tout le temps négatives ?

Le travail sur la gestion des émotions ne se limite donc pas à contrer les émotions négatives. Et comme je n’aime pas parler « d’émotions négatives » ! La colère donne des forces, la tristesse peut rendre créatif, tout est une histoire de contexte, de moment. D’où le terme « gérer », qui ne signifie pas « faire disparaître », « masquer », ou « nier ».

Ekman s’est intéressé aux grandes émotions que sont la joie, la tristesse, la peur, la colère, le dégoût, la surprise ; les émotions secondaires étant un mélange entre ces émotions de base. Elles sont d’ailleurs visibles sur notre visage, une expression faciale n’étant pas une émotion, mais une composante d’une émotion. Avec 44 muscles et plusieurs milliers d’expressions possibles qui en découlent, voilà de quoi donner du fil à retordre aux acteurs ! Le corps peut-il vraiment nous livrer les clés des émotions ? Parle-t-il sans que nous ayons besoin des mots ?

En résumé

La thématique des émotions est passionnante, et l’idée n’était pas ici de répondre à la question du « comment les gérer ? ». Il existe évidemment des outils, mais à travers ces exemples, ces réflexions, on se rend bien compte que cela dépasse parfois le cadre scolaire. Les outils ne font pas tout, et même s’ils semblent convenir à une personne, encore faut-il qu’ils s’adaptent au contexte.

Échanger, faire verbaliser, analyser, autant de verbes qui vont conditionner l’outil ou la méthode à utiliser. Le simple fait de communiquer permet parfois d’avancer à grands pas sur cette thématique… sans même avoir besoin d’utiliser les outils !

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